1) Le procureur dont il s'agit s'était vu attribué par la presse les propos suivants, qu'il avait nié avoir prononcés par la suite:
"Je ne requerrai pas cette peine plancher de quatre ans car les Magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir. Ce n'est pas parce qu'un texte sort qu'il doit être appliqué sans discernement".
Deux éléments importants doivent être précisés.
En premier lieu, la liberté de parole des magistrats à l'audience est consacrée par l'article 33 du Code de procédure pénale qui indique: "le Ministère Public est tenu de prendre des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données (...). Il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice."
Ce qui est résumé dans l'adage suivant: "La plume est serve, mais la parole est libre".
Le deuxième élément, qui sera développé infra, est que la peine plancher n'est pas, fort heureusement, d'application automatique et le texte laisse aux magistrats une lattitude dans l'appréciation des circonstances pour écarter l'application de ce texte.
L'affaire a été classée puisque les propos n'auraient pas été tenus.
Mais la question de la liberté de parole des Magistrats du Parquet et des limites qui pourraient lui être apportée s'est posée à cette occasion.
2) Le système des peines plancher a été institué par la Loi du 10 août 2007 et s'inspire en particulier des systèmes anglo-saxons.
Par exemple, l'Etat de Californie a mis en place un système dit "three strikes and you're out": à la troisième infraction, une peine de 25 ans de prison est prononcée ... au minimum... (ce qui a conduit un californien a être sanctionné de la peine de réclusion à perpétuité assortie d'une période de sûrété de 27 ans pour le vol d'une roue de secours: c'était son troisième vol!).
En France, un tel système serait anti-constitutionnel: les principes de personnalisation et d'individualisation de la peine sont consacrés par les textes et la jurisprudence.
L'article 132-24 du Code pénal précise, en particulier: " Dans les limites fixées par la Loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. Lorsque la juridiction prononce une peine d'amende, elle détermine son montant en tenant également compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction. La nature, le quantum et les régimes des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions".
Je trouve pour ma part qu'il s'agit d'un système équilibré, humain et porteur d'espoir: l'ostracisme social n'est pas la réponse apportée par nos Juges aux infractions qui leur sont soumises.
Les Magistrats se penchent sur la personnalité de chaque auteur d'infraction pour apporter une réponse adaptée; cette réponse relève d'une faculté dont ils ne doivent aucun compte.
Y compris en ce qui concerne les peines plancher: la Loi prévoit en effet que les Magistrats pourront écarter la peine plancher en motivant leur décision par les garanties d'insertion présentées par les auteurs d'infractions.
La philosophie du droit pénal issue des réformes post-révolutionnaires n'en sort malgré tout pas indemne... le Magistrat, dont le pouvoir d'appréciation est censé être souverain ne doit plus motiver une privation de liberté mais les raisons qui lui font écarter une sanction plus sévère...
Quoiqu'il en soit, la Loi prévoit cette possibilité et reste la question qu'inspire la mobilisation des Magistrats: les statistiques "plancher" en la matière sont-elles compatibles avec la personnalisation des peines...?
3) Il est étonnant de lire dans la presse que le magistrat qui avait été chargé de mettre à exécution la décision condamnant ce mineur à de l'incarcération "a été entendu".
C qui serait, selon les syndicats qui se mobilisent, une façon sobre de dire, : "auditionnée seule par 5 inspecteurs des services judiciaires pendant 45 minutes en pleine nuit..."
Sans connaître la façon dont les choses se sont déroulées, Il est néanmoins certain que toutes les précautions doivent être prises pour que ce drame ne puisse se reproduire.
Mais la compréhension de ce phénomène peut-elle réellement se faire dans la crainte, avec le seul maillon final d'une longue chaîne, isolé, en 45 minutes, la nuit, ...